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Le Covid-19 aggrave les autres crises humanitaires et déboussole les ONG

Le PAM met à disposition sa logistique et ses avions, aussi pour les petites ONG. [EPA/Keystone - Legnan Koula]
La crise liée au coronavirus complique le travail des humanitaires / Tout un monde / 5 min. / le 7 avril 2020
Conflits et crises humanitaires dans le monde sont désormais largement occultés par le Covid-19. Mais la situation empire dans les pays touchés, en raison précisément de la pandémie. Le monde de l’aide d’urgence et de la coopération navigue désormais à vue.

Les médias ne parlent quasiment plus que de la crise du coronavirus, mais les conflits dans le monde - Syrie, Afghanistan, Bangladesh, Sud Soudan ou Sahel notamment - ne sont pas pour autant sur pause. Mais la quasi-fermeture des frontières, les freins aux échanges et aux déplacements à cause du nouveau coronavirus compliquent grandement le travail des organisations humanitaires. Les chaînes logistiques qu'ils utilisent, notamment, sont perturbées.

Assurer une réponse opérationnelle adéquate à ces populations est vital.

Patrick Youssef (CICR)

La pandémie du Covid-19 est venue simplement s‘ajouter à la liste et ne fait que complexifier encore un peu plus toutes ces situations tragiques. C’est le message que fait passer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). "Les guerres autour du lac Tchad, au nord du Mali, en Somalie, en Libye et ailleurs, ne cessent pas et les populations que nous aidons ont aujourd'hui plus que jamais besoin de notre assistance", alerte le directeur Afrique du CICR Patrick Youssef mardi dans l'émission Tout un monde. "Assurer une réponse opérationnelle adéquate à ces populations est vital dans cette situation où les besoins seront en croissance, où les centres de santé vont être alourdis par cette situation".

Des mastodontes de l'humanitaire comme les organismes onusiens jusqu'aux plus petites des ONG, le constat est unanime. Acheminement de l’aide, protection des populations et des équipes, réorganisation des soins et des modes de distribution, gestion des stocks… Il faut tout repenser à cause du nouveau coronavirus.

"La situation est tendue partout. D'ordinaire, on passe par des lignes commerciales pour notre fret, mais aujourd'hui la plupart des compagnies aériennes sont clouées au sol", explique la porte-parole de Terre des Hommes (TdH) Ivana Goreta. "Les marchandises transitent au ralenti et on a un souci d'approvisionnement, en particulier sur les biens qui permettent de se protéger contre le coronavirus comme les masques ou les solutions hydroalcooliques".

Il va falloir faire du triage, on n'a pas le choix.

Christine Jammet (MSF)

Et face à la pénurie qui s’annonce, il faut désormais trouver des alternatives, acheter et produire local, avec le risque de tomber sur du matériel qui ne répond pas aux standards de qualité requis. Il faudra aussi faire des choix: "On essaie de s'adapter, de simplifier, mais cela veut dire qu'il va falloir faire du triage, on n'a pas le choix", déplore la directrice des opérations de Médecins sans Frontières Suisse Christine Jammet. "Il y a des opérations qu'on a décidé de mettre en standby pour donner la priorité à d'autres projets. Donc les impacts vont être terribles".

Un autre problème est l’explosion des prix, car les lois du marché n’épargnent pas le monde de l’humanitaire. "La raréfaction des produits fait évidemment augmenter les prix et multiplier les contrefaçons", poursuit Christine Jammet. "Tout le monde est désespéré donc on va avoir tendance à accepter de prendre tout ce qu'on nous présente sans en mesurer le niveau de qualité. Et ça c'est aussi très, très dangereux".

Comme partout, les procédures de travail doivent également être revues et les méthodes réadaptées. Et pour éviter les possibles ruptures de chaines d’approvisionnement, Les organisations humanitaires devront encore mieux collaborer entre elles.

On travaille avec d'autres ONG pour prépositionner des stocks.

Paola Barioli (Medair)

Il s'agit premièrement de partager des informations en vue d'un éventuel achat commun de ces articles critiques", explique la porte-parole de l'ONG suisse Medair Paola Barioli. "Deuxièmement, on essaie d'adopter une approche commune avec les autorités douanières pour faciliter l'acheminement de ce type de marchandises. On travaille aussi avec les cellules logistiques d'autres ONG pour essayer de trouver des hubs, que ce soit au niveau international ou régional, pour prépositionner des stocks et les acheminer de la façon la plus rapide quand la situation s'améliorera un peu".

Medair compte par exemple beaucoup sur l’appui du Programme Alimentaire Mondial (PAM), qui apporte son aide à près de 850 millions de personnes dans le monde et qui gère des entrepôts et des plateformes aux quatre coins de la planète.

Nous espérons qu'avec la mise en œuvre de tous nos moyens, nous arriverons au moins à limiter les dégâts.

Elisabeth Byrs (PAM)

"Le Programme alimentaire mondial a pour rôle, justement, d'aider tous les partenaires humanitaires sur le terrain", confirme sa porte-parole Elisabeth Byrs. "Non seulement les grandes agences de l'ONU comme l'OMS, mais également les petites ONG. Et elles pourront compter sur le PAM, sur son expérience en logistique. Nous avons les moyens, nous avons les avions, et nous espérons qu'avec la mise en œuvre de tous ces moyens, nous arriverons au moins à limiter les dégâts, parce que la situation est grave.

L’organisme onusien dit avoir déjà prépositionné des stocks, notamment de nourriture, de matériel médical et de tentes. Sa flotte mondiale de 5600 camions est opérationnelle.

Et pour pouvoir continuer de travailler sur le terrain, il faudra notamment faire preuve de trésors de diplomatie, négocier avec des Etats qui se barricadent - tout cela dans un environnement financier qui va se durcir et avec des donateurs publics ou privés qui pourraient revoir les montants de leur aide à la baisse. L’ONU et le CICR viennent d’ailleurs de lancer des appels de fonds importants.

Nicolas Vultier/oang

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L'exemple de la Birmanie

On sait que les zones de conflits représentent déjà, même sans pandémie, un grand risque sanitaire. En raison de la menace du Covid-19, plusieurs pays dont la Suisse, ainsi que des ONG et des groupes rebelles eux-mêmes, ont appelé à un cessez-le-feu en Birmanie où les affrontements continuent entre l'armée et les guérillas ethniques.

Depuis plusieurs mois, dans le nord de l’Etat de l’Arakan et dans l'Etat Chin voisin, internet a été coupé par le gouvernement birman - officiellement pour rétablir la paix. Mais la décision empêche aujourd'hui la population de s’informer sur l’épidémie.

>> Le reportage de Sarah Bakaloglou dans Tout un monde: